Portrait Alberto Giacometti
Façonner le vide
PORTRAIT ALBERTO GIACOMETTI
Giacometti est probablement le sculpteur le plus exceptionnel du XXe siècle. Depuis le 17 octobre, le centre Pompidou rend hommage à son talent à travers l'évocation de son atelier. Portrait de l'artiste et aperçu de l'exposition.
Le vide
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La période surréaliste
Ces échecs obligent Giacometti à repousser un temps le travail d'après nature, le modèle en particulier. Loin d'être un renoncement, il s'agirait plutôt d'une rupture éphémère, comme un répit. Moment de rencontre avec la sculpture contemporaine, Brancusi, Henri Laurens, et Arp. Découverte également de l'Art premier ('L'Objet invisible'), des Cyclades et de l'ethnographie avec Michel Leiris, d'une littérature audacieuse avec Bataille, Desnos. Ses sculptures quittent le réalisme pour devenir symboliques. Quand la femme est représentée, elle devient cuillère, les têtes deviennent plates ou cubiques ('Tête qui regarde'), 'Le Couple' également.
Inévitablement, il adhère en 1930 au groupe surréaliste. Libre d'exprimer ses pulsions sexuelles ('Hommes et femmes'), sadiques ('Femmes égorgées'), le travail de Giacometti se fait de plus en plus abstrait. Quant à 'La Boule suspendue', elle restera le modèle plastique du désir surréaliste. Ses fantasmes, son imaginaire le surprennent, il se découvre dans cette liberté absolue de créer. Pourtant si cette période lui procure entrain et énergie, il reste lucide : "Je savais que quoi que je fasse, quoi que je veuille, je serais obligé, un jour de m'asseoir devant le modèle sur un tabouret et d'essayer de copier ce que je vois." Son objectif ne peut être atteint dans les chemins désordonnés du surréalisme.
Retour au réel
La guerre est là qui affecte considérablement l'artiste. Durant cette période, les sculptures de Giacometti deviendront de plus en plus petites au point de pouvoir tenir dans une boite d'allumettes. Si la quête de l'essence, de l'immuable, aux dépens du détail, le pousse à la réduction, il est certain que la guerre et son lot de barbaries et de crimes l'incitent à une vision plus en plus angoissée du monde. Plus l'homme souffre de sa propre inhumanité, plus les figures rapetissent au point de se fondre dans leur socle. Prenant la mesure de l'angoisse existentielle, de la fragilité et de la solitude de l'homme, Giacometti s'ouvre alors de nouvelles voies vers la création.
L'existentialisme plastique
De retour à Paris, après l'exil contraint en Suisse, Giacometti apparaît métamorphosé dans l'effervescence artistique de Montparnasse. La rencontre avec Sartre et Beauvoir va renforcer la portée existentialiste de son travail, avec par exemples 'L'Homme qui chavire' ou 'La Forêt', impressionnante expression de la difficulté à assumer la responsabilité d'une liberté dont on ne peut se défaire. En 1947, il réalise 'L'Homme qui marche', comme symbole d'un nouvel élan. Car l'artiste finit par accepter la singularité de sa perception afin de ne plus s'y opposer. Il renonce dorénavant à contrôler sa sensibilité et à renier sa subjectivité afin de fabriquer, peindre ou dessiner ce que lui dicte la singularité de ses yeux. Ses sculptures retrouvent de la hauteur, les corps se font de plus filiformes et restent marqués par le paradoxal encombrement du vide. La matière est creusée, entaillée de tous cotés, insatiablement torturée par l'espace. On est loin des objets épurés et polis de Brancusi. Et pour lui, l'homme reste irréversiblement métaphysique.
La quête de l'altérité
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La peinture et le dessin
Giacometti peignait comme il sculptait. Les mêmes contrariétés, les mêmes desseins, les mêmes obsessions s'imposaient à lui quand il maniait le pinceaux ou le crayons : "Comment peindre le vide ?" s'interrogeait Sartre face aux toiles de son ami. Alors, il utilise les traits aux dépens de la couleur - la forme naît de cette agencement subtil de lignes noires et non des différences de tons – il amasse la peinture au point d'en faire un matériau plastique rendant le relief du tableau accidenté et maîtrise l'espace en imaginant un cadre peint sur la toile elle-même. Fortement impressionné par Cézanne et Derain, il saura leur rendre hommage ('La Mère de l'artiste' ou 'La Pomme sur le Buffet), comme il copiera vers la fin de sa vie les tableaux des anciens, Botticelli, Velazquez, Vinci, etc. Mais ces portraits des années 1950-60 auront la profondeur de ses sculptures, la même intensité, une focalisation sur le regard dont la profondeur obscure ne laissera entrevoir aucun terme. Si les corps sont disproportionnés par rapport au visage (portraits de 'Genet' ou 'James Lord'), celui-ci canalise paradoxalement toute notre attention.
De l'atelier à l'exposition au centre Pompidou
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Rarement la complicité entre un artiste et son oeuvre fut aussi intense. Pour interpréter les peintures, on doit entendre les confessions de Giacometti ; pour comprendre qui est cet homme angoissé, il faut interroger les sculptures. Ces corps tragiques, ces têtes inquiétantes, ces regards obscurs et insondables se présentant comme les reflets bruts d'une identité fragile. Et à travers leur chair accidentée s'objective en définitive ce désir insensé de transformer le vide en matériau. Une expérience, semblable à une tentative désespérée de saisir et figer en art, une fois pour toutes, cette distance insurmontable que le monde offre entre les êtres. L'autre nom de l'altérité.
Thomas Yadan pour Evene.fr - Octobre 2007
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