"Quand la photographie fait Trace", Mélanie Patris
Centre Rhapsodie
Promotion 2005
Quand la Photographie fait Trace.
Mise en exergue du lien entre 'la photographie et la trace'
par le biais d'un atelier d'animation.
Par Mélanie Patris
Travail en vue de l'obtention du
Certificat d'Animateur d'Atelier d'Expression et de Créativité.
Année académique 2006-2007
Centre Rhapsodie
Perfectionnement professionnel – Coaching – supervisions
Chaussée de Waterloo, 788 – BE 1180 Bruxelles
Je tiens à remercier
L'institution « Le Canevas », plus spécialement, Evelyne Chambeau, de m'avoir permis de réaliser l'animation dont il est question ici ;
Françoise Veldeman, Pascale Istaz, Anaïs Mauzat et Valérie Timmermans, mes collègues sans qui cette animation n'aurait pas pu avoir lieu ;
Stéphane Orban, Eugénie Nottebohm et Jenny Lentz pour leur relecture attentive ;
Un merci tout particulier à Valérie Timmermans qui m'a épaulée tout le long de ce travail.
Photographier, c'est comme une histoire,
Il y a un avant, un pendant, et un après…
Un début et une fin.
Avant, il y a la personne, le paysage, le moment qui est là…
Puis, il se passe quelque chose, il y a un moment où je passe à l'acte.
Je sais que la photo est là.
Ce moment-là, et pas un autre sinon c'est trop tôt ou trop tard…
Il s'agit d'une fraction de seconde. Un infime moment où l'image prend forme dans mon esprit et …
« Clic » la photo est prise. Juste le temps de porter l'appareil à l'œil et d'appuyer sur le déclencheur.
J'aime ce moment car c'est là que les regards se croisent, que le paysage est le plus beau, que le moment est le plus intense…
Dans l'après de l'image, il y a la vie qui continue.
Chacun reprend sa route, le temps continue à couler…
Jusqu'au moment du développement…
Moment où l'image en question va réapparaître dans le révélateur.
Ce moment magique où je revis un peu l'instant figé sur le papier…
Mélanie Patris.
Résumé
Tous les jours, nous sommes mis face à des images qui s'insinuent de plus en plus dans nos vies sans que nous en soyons vraiment conscient : la publicité à la télé, dans la rue, dans les magazines… Partout des images nous disent ce qu'il faut ou ne pas faire, comment il faut ou ne pas être ; et qui, finalement, nous donne à voir en permanence différents aspects de la vie…
Les appareils photos quant à eux rejoignent notre quotidien jusqu'à être intégrés dans les gsm, de quoi pouvoir enregistrer des images à tout moment de la journée !
En guise d'illustration à ces propos, je citerai Moholy Nagy :
« Les analphabètes de l'avenir seraient ceux qui n'auraient pas intégré les images ! »[1].
Dans ce travail, l'auteur a voulu faire part de l'expérience vécue lors d'un atelier ayant comme média principal la photographie et portant sur le thème de la trace ; elle a voulu parler du lien théorique existant entre la photographie et l'inconscient ; ainsi qu'entre la photographie et la trace.
L'auteur a retracé l'histoire de la photographie dans le contexte général, ensuite dans le contexte de la psychiatrie. Il lui semblait important de connaître les étapes qu'à traversé la pratique photographique à travers les siècles et en même temps, quelle place celle-ci s'est faite au sein de la société, afin de savoir pourquoi la photographie et l'image tiennent un rôle aussi important dans notre quotidien et dans certains lieux de soin.
Le projet décrit est un atelier d'expression et de créativité ; et non un atelier thérapeutique (bien que nous sachions que tout atelier peut avoir « effet thérapeutique de surcroît »).
Dans ce cadre, il semblait intéressant, en tant que première approche de l'animation avec le média photographique, de faire le lien entre ce qui a été vécu lors de cet atelier et une approche théorique ; c'est à dire prendre conscience des enjeux qui peuvent être présents lorsqu'une personne utilise un appareil photo et/ou manipule des images.
Il sera, également, question dans ce travail, du thème de la photographie et de la trace. Le mot « trace » étant intimement lié au mot « photographie » (du grec 'photos': lumière et 'graphos' : tracer).
Table des matières
I. Introduction…………………………………………………………………………………………………………… 5
II. Petite histoire de la photo…………………………………………………………………………. 6
Brève histoire de la photographie en psychiatrie :
1. Au XIXe siècle ……………………………………………………………………... 6
2. Du XXe siècle à aujourd'hui…………………………………………….. 7
III. Atelier : « Photographie et Traces »,
'Autour de la photo' ………………………………………………………………………………………… 8
IV. Pratique de la photographie et approche thérapeutique.
La Trace. ……………………………………………………………………………………………………………… 12
A. L'ACTE photographique. ……………………………………………………………………………….. 12
1. La fonction d'introjection.
2. Le développement en photo.
3. Quand la photo n'est pas regardée ni même développée.
B. Les IMAGES. ……………………………………………………………………………………………………. 15
1. Du point de vue du spectateur.
2. Du point de vue du photographe.
V. Conclusions. ………………………………………………………………………………………………………….. 16
VI. Bibliographie. ……………………………………………………………………………………………………….. 17
VII. Annexes. ………………………………………………………………………………………………………………….. 18
I. Introduction
Durant l'été 2008, j'ai eu l'occasion d'animer un atelier d'expression dans le cadre d'un centre psychothérapeutique de jour pour adultes. Il s'agissait d'un atelier ayant pour but d'éveiller les participants au thème de la « Trace » par le biais, d'abord de l'acte photographique et ; ensuite de l'image photographique et de sa transformation avec d'autres médias.
Ce qui a plus particulièrement retenu mon attention durant cet atelier a été le volet concernant le média photographique.
Dans ce travail, j'ai tenté d'appréhender comment la photographie peut prendre forme en tant que « Trace » pour la personne.
Tout d'abord, j'ai eu envie de rappeler d'où nous vient la photographie. Sachant que depuis toujours l'homme cherche à fixer les images qui l'entourent, les moments qu'il vit…
A l'heure actuelle, chacun d'entre nous ou presque possède un appareil photographique. Comme nous le verrons dans ce travail, nous pouvons considérer que c'est un outil multifonctionnel, non seulement par les images qu'il nous donne à voir, mais aussi par l'acte photographique que souvent nous négligeons souvent de prendre en compte.
Par la suite, j'ai voulu étayer l'usage de la photographie (savoir comment elle a été introduite) dans les lieux de soins psychiatriques (puisque c'est dans un de ces lieux que cet atelier s'est déroulé).
Et enfin, observer comment la pratique de ce média et son résultat (imagé) permettent de faire un lien avec le concept de « Trace » en tant que repère : trace du temps, trace de soi, trace qui nous guide, trace qui nous montre que nous existons, avons existé et existerons.
Freud définissait la photographie par « l'idée de saisir et de retenir les événements fugitifs, d'enregistrer le présent et de le consigner pour l'avenir… » [2]. Finalement, ne serait-ce pas là, la tentative primordiale de réaliser et de laisser une trace …?
II. Petite histoire de la photo
Le mot « photographie » découle du grec « phôtos » (lumière) ; et « graphein » (tracer).
Nous pourrions dire : « Inscrire avec la lumière ».
De tout temps, l'homme a eu envie de fixer des images, de figer le temps. Il l'a d'abord fait en dessinant, peignant et sculptant. Par la suite, un procédé technologique a permis la mise en image directe du sujet observé. C'est ce procédé que l'on appelé 'la photographie'.
En 1480, Léonard de Vinci note dans ses carnets une description précise du phénomène : « … lorsque, par le moyen de quelques petits spiracles ronds, les images des objets pénétreront dans une chambre obscure, tu recevras sur une feuille de papier blanc placée à proximité de ce spiracle, des images semblables, avec leurs couleurs et leurs formes, mais elles seront sens dessus dessous à cause de l'intersection des rayons… »[3].
C'est en 1827, que Nicéphore Niépce (1765-1833) place dans une chambre noire ou sténopé (chambre parfaitement étanche à la lumière dans laquelle on perce un trou minuscule) une plaque d'étain enduite de bitume de Judée et réalise la 1ère photographie (annexe n° 1).
Plus tard, Daguerre (1787-1851) réussira à fixer des images de manière permanente et en 1851 Frédérick Scott Archer inventera le procédé du collodion qui apportera plus de malléabilité et de rapidité à la photographie.
Et c'est vers 1887 que la photographie se diffuse au sein du grand public et n'est plus uniquement réservée à une élite ou à des professionnels. Et ce, grâce à l'invention des appareils portatifs Kodak livrés avec une pellicule et retournés tels quels, après les prises de vues, pour le développement.
L'apparition des pellicules rouleau (rollfilm) se fera quant à elle aux alentours de l'année 1885 (par Eastman 1854-1932).
C'est à partir de cette époque que chacun deviendra le fabriquant de ses propres images et que les premiers groupes d'amateurs se forment en clubs qui ont pour but de pratiquer la photographie comme art, selon des convictions propres et non plus pour plaire à une clientèle anonyme.
Brève histoire de la photographie en psychiatrie.
Au XIXe siècle
En 1853, l'anglais Hugh Welch Diamond (1809-1886) introduit la photographie à l'hôpital. Il y fit installer un laboratoire photographique. Il chercha alors à établir un répertoire des symptômes ainsi que de la typologie nosographique des malades psychiatriques. Il fut l'un des premiers a monter une exposition consacrée aux photographies réalisées dans ce cadre.
Déjà à l'époque, Charcot se posait des questions éthiques concernant le problème du droit de faire de l'art à partir de la souffrance d'autrui.
C'est également Diamond qui mit en exergue le principe des trois fonctions possibles pour la photo en psychiatrie : diagnostic, fichage et thérapeutique. G. Perriot[4] nous dit que c'est encore Diamond qui posa le principe d'une « thérapie prenant en compte la revalorisation narcissique par l'image », principe à la base de toute 'photothérapie'.
Peu à peu la photographie était en passe de devenir outil de projection thérapeutique pour le patient.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il y eu un réel engouement pour la photographie en psychiatrie. En 1863, Valéry Combes écrivit « De la photographie appliquée à l'étude des maladies mentales ». La même année, Legrand du Saulle (1830-1886) constitua un atlas des maladies psychiatrique, « de l'application de la photographie à l'étude des maladies psychiatriques ».
En 1860, Duchenne de Boulogne (1806-1875), quant à lui, en créant une sorte de grammaire des émotions – « L'expression des émotions », cherchait, en appliquant les principes de la science (avec l'électrophysiologie) et de la photographie (par ses mises en scène, son travail de la lumière, ses cadrages et perspectives), à établir un lien avec l'art plastique (annexe n° 2).
C'est à la fin du XIXe siècle que certains psychiatres-photographes soulèvent à nouveau la question de l'éthique de la photographie dans les asiles. Ceux-ci mirent en avant le besoin d'établir certaines règles d'utilisation de ces photographies afin de préserver l'intégrité du patient et son devenir.
Du XXe siècle à aujourd'hui
Fin du XIXe siècle, la photographie laisse progressivement place à la psychanalyse.
Dans la période de l'entre deux guerres, ce sont des tests psychologiques utilisant des photographies qui apparaissent. Ce thème dépassant le cadre de ce travail, je citerai néanmoins deux tests encore actuellement utilisés : d'une part le test « Murray » (TAT 1935), il contient vingt six dessins et quatre photos sensés opérer selon le principe d'inquiétante étrangeté (annexe n° 3); d'autre part, le test « Szondi » (1944), qui opérerait par de l'idée d'une attirance naturelle vers son semblable ( c'est-à-dire que le sujet choisira entre plusieurs photos de patients et tirera celles qui représentent des sujets atteints de la même affection que lui (annexe n° 4).
Plus tard, un autre type de photothérapie apparaît où la photographie est incluse dans le processus analytique lui-même. S. Fanti en a fait sa propre méthode, la baptisant « micropsychanalyse » mêlant conjointement l'utilisation de la psychanalyse avec celle de l'image (de famille le plus souvent). Pour lui, la photothérapie s'opère par tâtonnements, examen et réexamen de l'image par et avec le patient.
C'est en énumérant toutes les façons dont la photographie nous amène à être dans une démarche ouverte à la thérapie que nous pouvons nous rendre compte de la large palette des possibilités quant à l'utilisation de la photothérapie telles que : de l'autoportrait, le photo langage, le roman-photo, le photodrame, le polaroïd, le photocopieur ou encore la sculpture humaine[5]).
III. Atelier : « Photographie et Traces », 'Autour de la photo'
L'atelier a été proposé dans un centre psychothérapeutique de jour, lieu de réhabilitation psychosocio-professionnel accueillant une moyenne de 30 patients par jour. Les personnes qui y sont accueillies souffrent de divers troubles mentaux tels que dépression, psychoses et névroses. De nombreuses activités y sont proposées : corporelles, sportives, créatives et culturelles. L'équipe thérapeutique, pluridisciplinaire comprend des psychologues, un médecin psychiatre, des kinésithérapeutes, une logopède, des ergothérapeutes, des assistants sociaux et des infirmières ; et compte environ 15 membres.
Chaque été, une nouvelle animation intitulée « Atelier d'été » est mise sur pied soit par une personne extérieure au centre (artiste styliste, cinéaste, sculpteur…) soit à l'initiative d'un membre de l'équipe ; comme cet atelier que j'ai mis en place et mené en 2008 ; et qui fait l'objet de ce travail.
Cet atelier porte sur le thème de la « Trace » et s'intitule 'Autour de la photo'.
Ce sujet me parait intéressant car il ouvre sur différents aspects : traces du passé qui révèlent qui nous sommes, qui guident nos pas ; traces de l'instant qui indiquent où nous sommes, notre état présent. Cela peut aussi être « Quelle est ma trace, ici, dans l'institution, dans la ville, dans la vie ? Qu'est-ce qui peut m'être utile, m'aider à voir ce que je laisse comme trace quelque part, que j'existe ? ».
Traces du temps, de pas, de soi…
Cette proposition brasse toute sorte de synonymes qui tournent autour de l'empreinte, la marque, la cicatrice et qui ont été éveillés par le biais d'un atelier écriture (annexe 8) et lors d'un brainstorming en guise d'introduction aux premières séances.
Pour ce projet, quatre membres de l'équipe m'ont rejoint et se sont mobilisées pour son élaboration ainsi que pour la co-animation. En effet, nous avons constitué des duo d'animation tout l'été, de la fin juin à la fin septembre, à raison de 2 à 3 fois par semaine : le mercredi après-midi (2 heures), le vendredi (1heure et demi) et parfois, le jeudi après-midi (2 heures).
Nous avons utilisé l'espace réservé habituellement aux ateliers d'ergothérapie qui peut accueillir une dizaine de personnes.
Nous avons décidé, ensemble, de participer au projet avec les patients. Etant à deux (voire parfois trois) animatrices lors de chaque animation, notre attention a pu être mobilisée d'abord auprès des personnes présentes à l'atelier et dans un second temps sur notre propre création. Notre élan entraînait le leur et nous semblait intéressant dans la dynamique de travail.
Durant le projet, nous avons régulièrement transmis des feedback aux membres de l'équipe extérieurs à l'atelier, ces informations pouvant, éventuellement étayer le travail de référence avec le patient dans son cheminement au sein de l'institution. De même qu'après chaque animation, nous prenions un temps de parole entre thérapeutes pour partager des observations faites à propos des patients et du réajustement du cadre de travail.
L'entièreté de ce projet a été financée par l'institution. Toutefois, une collecte d'appareils photo a été sollicitée auprès des membres de l'équipe afin d'en alléger le coût.
J'ai choisi de travailler la « Trace » avec le média photographique argentique couleur. Deux étapes du travail avec la photo ont été prises en compte : l'acte photographique (prise des photos) et le résultat imagé (la photographie elle-même) ; le développement étant confié à un laboratoire professionnel.
Tout d'abord, par rapport à l'acte photographique, étant donné que cet atelier avait comme intention la stimulation de la créativité et non pas l'introspection, nous avons établis comme consigne de ne pas se photographier soi-même. Pour des questions déontologiques, anonymat des personnes au centre et droit des images, nous avons également demandé qu'aucune photo d'autres personnes de l'institution ne soient prises. Par contre, nous avons pensé mettre sur pied un futur atelier thérapeutique qui aurait comme thème l'autoportrait où là, les consignes et le cadre seraient repensés de façon fort différentes.
Ensuite, je proposais avec une ou plusieurs images que le patient avait faite(s) et choisie(s), de continuer à faire « Trace » à l'aide de médias plastiques combinés ou non tels que gouache, aquarelle, acrylique, écoline, pastels et autres matières (laine, tissu, feuilles, fleurs…), ainsi que l'écriture tel que le calligramme, les acrostiches et la calligraphie ou encore du collage (magazines : sujets non figuratifs c'est-à-dire fond de couleur, lettrines, textes... ).
La seule contrainte matérielle étant le format final du cadre : carré de 50x50cm ou rectangle 50x60cm.
Du point de vue pratique, l'atelier s'est déroulé en trois temps durant l'été 2008 :
1) Premier temps (de la fin juin au 15 août) : prise de traces photographiques dans l'institution et à l'extérieur (lieux choisis par la groupe : Château de la Hulpe, Grand place de Bruxelles et le centre ville, Parc Baudouin).
L'accès à l'atelier était libre. Dix-sept personnes ont participé à cette étape.
Chacun disposait d'environ 50 clichés et pouvait choisir entre un appareil photo automatique, semi-automatique ou complètement manuel. Nous avons aussi, à certaines occasions, utilisé des appareils jetables.
2) Deuxième temps (du 16 août au 30 septembre) : utilisation des autres médias sur et avec la photo pour y poursuivre la réalisation des traces.
A ce moment, nous avons restreint le groupe à ceux qui avaient participé au moins une fois à l'étape précédente.
Quinze personnes y ont participé et on finit leur travail, devenue « Œuvre », pour arriver à la troisième étape.
3) Troisième temps : concerne les personnes désireuses d'exposer. Trois endroits ont été prévus à cet effet :
- Octobre 08 : le premier endroit d'exposition s'est déroulé à « La Grignotière » (restaurant social appartenant au centre de jour « Le Bivouac ») dans le cadre du parcours d'artiste de la santé mentale.
- Novembre 08 : une deuxième exposition a eu lieu à la maison de repos « L'Aurore » (sis au 737 Chaussée de la Hulpe – 1310 la Hulpe) où nous avons eu l'honneur d'inaugurer un nouvel espace d'exposition (projet soutenu par le directeur de la maison, Mr Michel De beusscher).
- Décembre 08 : pour clôturer, les œuvres rejoindront le centre de jour, d'où elles sont parties où enfin, les personnes n'ayant pas participé à l'activité pourront les découvrir.
En janvier 2009, chaque participant pourra s'il le désire, récupérer son œuvre, étant convenu que celle-ci lui appartient pleinement ou bien la laisser dans l'institution.
C'est aussi à cette occasion qu'une lecture du livre d'or pourra être faite, ainsi que le partage des impressions sur les traces laissées auprès des visiteurs.
Pour conclure cet atelier, nous avons demandé aux participants ce qu'ils avaient pu y trouver. Voici quelques réponses et certaines observations relayées l'atelier :
A. nous confie que c'est la première fois qu'elle refait des photographies depuis que son mari est décédé. De son vivant, ensemble, ils voyageaient beaucoup et faisaient de nombreuses photos… L'atelier, dit-elle, lui a donné envie de reprendre un appareil photo en main.
En dehors de l'institution aussi ! Elle dit avoir beaucoup aimé mélanger les matières dans son travail.
M. dit s'être beaucoup amusée en prenant les photos et en créant ses œuvres. A posteriori, nous avons pu constater par après qu'elle avait gagné de la confiance en elle lorsqu'elle faisait, dans d'autres ateliers, des collages ; ceux-ci étant beaucoup plus soignés et nets qu'auparavant.
I. certifie que la découverte de cette technique a été une source d'inspiration et qu'elle y a trouvé du bien-être comme lorsqu'elle fait de l'aquarelle. Elle se réinterrogera également sur la prise de photo (cfr. plus loin p 11).
L. n'ayant jamais eu d'appareil photographique en main évoque la nouveauté et la découverte de cette expérience qu'elle trouve fort plaisante. De plus, l'aboutissement de son travail s'est déroulé en un vrai processus créatif de 4 étapes dont elle choisira d'exposer la dernière oeuvre.
A. cheminait dans sa créativité, questionnant sans relâche, séance après séance, l'esthétique de sa démarche en ayant tendance à se dévaloriser ainsi qu'à banaliser ses choix. Nous avons d'ailleurs constaté que cette problématique touchait les différents aspects de sa vie. Elle a pu néanmoins arriver à un résultat final plutôt satisfaisant, qu'elle a choisi d'ailleurs d'exposer.
San. et Sai. sont venus s'y frotter sans y accrocher vraiment. Une possibilité pour ces jeunes en situations sociales difficiles de vivre avec légèreté et plaisir l' « ici et maintenant » de cet atelier.
D., un jeune homme malvoyant, a pu, s'essayer avec l'aide d'une d'entre nous à la prise de photo. L'animatrice faisait une description de l'endroit où elle se trouvait avec lui, il précisait alors ce qu'il avait envie de photographier dans cette description. Elle le dirigeait vers ce qu'il demandait et il prenait alors la photographie lui-même… C'était une manière de l'inclure dans le projet, ainsi que pour la réalisation de son œuvre, qu'il a pensée par l'intermédiaire d'une planche contact (planche contact fictive où les personnes étaient invitées à décrire le projet vers lequel elles pensaient se diriger) et réalisée avec des feutres, guidé par des lattes qui délimitaient l'espace qu'il avait décidé de colorer en bleu pour le ciel et en vert pour le sol.
Il n'a pas eu l'occasion de participer entièrement au projet, son séjour dans l'institution prenant fin, mais il était très satisfait de sa réalisation et reconnaissant de notre disponibilité face à l'individualité de sa démarche.
P. a pris toutes sortes de photographies de monuments et en a fait un travail en trois dimensions dans son œuvre finale où il a peu exprimer ses idées et exploiter ses compétences en modélisme. Lors d'une des visites proposée, l'une de ses remarques fut : « Mais si nous allons tous au même endroit, nous aurons tous les mêmes photographies ! ». Il était, alors, difficile pour lui d'imaginer que chacun pouvait avoir un 'point de vue' différent…
Et enfin, I., un patient affirmant sa passion pour la photographie.
Il avait le désir de refaire des photos depuis longtemps, mais cela lui semblait trop compliqué (ce patient ayant de nombreux « TOC », il s'imposait une série de rituels pour pouvoir entamer sa démarche). Il s'était acheté un nouvel appareil avant le début du projet mais ne l'avait pas encore sorti de son emballage. .
A l'atelier, il utilisa l'un des appareils proposés et pu se mettre au travail.
Lors d'une des sorties de 'prise photographique', ne supportant pas le regard des autres durant l'acte lui-même, il nous demanda d'être seul pour ce moment, nous disant, par là, son besoin d'intimité pour cet instant…
Par la suite, en découvrant ses photos, nous le verrons, dans une sorte d'excitation enfantine, content de lui et de ses « prises »…
Ce patient a clôturé son séjour en disant avoir pu, enfin, déballer son propre appareil et ayant comme projet de se remettre au 'travail photographique' à domicile…
Vous trouverez des photographies des œuvres en annexe n° 5.
IV. Pratique de la photographie et approche thérapeutique
Pour S. Tisseron, la photographie est un instrument d'assimilation psychique du monde avant d'être un ensemble de significations symboliques[6].
Et en particulier par rapport à la trace, dont il nous dit :
« Les premières traces laissées par l'enfant ne sont pas fondées sur des représentations qui leur préexistent. Ce sont elles, au contraire, qui mettent en place la possibilité de 'représentation', notamment à travers la constitution d'une représentation d'une mère attristée par la séparation et portant la représentation de son bébé et de la tristesse de ce dernier. » …
Un peu plus loin dans le même texte, il conclura son idée en s'exprimant ainsi : « L'empreinte n'est que l'attestation d'un passage, la trace atteste le désir qu'a eu celui qui l'a laissée de réaliser une inscription. »[7]
Pareil à l'enfant qui cherche en sa mère sa propre trace, le photographe cherche dans le monde qui l'entoure la trace de son existence par des images qui font écho avec ses représentations intérieures.
C'est là que le style de chaque photographe prend naissance. C'est là, la trace de son rapport au monde et de ce qu'il en fixe et qu'il en donne à voir.
Quand on parle de la pratique photographique, il semble important de distinguer deux aspects de par les fonctions différentes qu'ils opèrent d'un point de vue psychique.
Ces deux aspects sont :
- Sa face cachée, l'ACTE photographique.
- Sa face visible, les IMAGES obtenues.
L'acte photographique serait un mode de symbolisation sensori-affectivo-moteur tandis que son résultat – les images obtenues – serait un mode de symbolisation imagée. Tout deux étant d'importance égale.
A. L'ACTE photographique
1. La fonction d'introjection :
Au début des années 1900, les médecins photographient les malades défigurés (par exemple on peut citer 'l'homme éléphant') et en font même de 'belles images'. Ce qui a pour objet de rendre 'observable' ce qui au départ ne l'était pas ou difficilement.
Par là, on peut dire que la photographie a permis d'intégrer la 'monstruosité', libérant le regard de l'horreur et de la honte pour l'orienter vers l'étude de la maladie proprement dite.
Ce qui est vrai pour la 'monstruosité', l'est aussi face à des moments ou des événements difficilement assimilables. La photographie enregistre provisoirement l'instant et en permet l'appropriation symbolique.
Dans ce sens, les photographies vont permettre l'introjection de ces images de manières inconsciente en leur donnant une place en nous.
Cette introjection se déroule dans trois sphères :
- La sphère sensori-affectivo-motrice (acte photographique)
- La sphère imagée
- La sphère verbale.
Lorsqu'on parle du mode sensori-affectivo-moteur, on parle de l'ensemble des gestes, sensations et émotions réalisés et/ou ressentis lors d'une prise de vue mais aussi pour chacune des opérations du développement et du tirage des images.
Jacques-Henri Lartigues (1894-1986) est un artiste pour qui la photographie s'est révélée être un puissant outil d'introjection du monde :
Hans-Mickael Koetzle, dans 'Photo Icons' nous parle du photographe en ces termes :
« … A peine a-t-il appris à marcher, il commence à archiver le monde visible qui l'entoure. 'Je cligne des yeux trois fois de suite et hop ! L'image est à moi !'. C'est ainsi que très tôt, la photographie devient pour lui un instrument important d'investigation visuelle… ». « C'est en 1902 qu'il reçoit en cadeau son premier appareil photographique : une chambre 13x18 à obturateur à bouchon, et qu'il prend et développe ses premières photographies seul… ». (Annexe n° 6)
Vignette de l'atelier :
Þ Lors d'une excursion dans le cadre de l'atelier 'Autour de la photo', I. (citée plus haut) s'interroge alors que l'une des thérapeutes prend une photographie en s'agenouillant et se tordant pour essayer d'avoir le cadrage qu'elle a imaginé… I., une patiente, I. lui demande alors ce qu'elle fait !? Ma collègue lui explique qu'elle tente de faire « Trace » en ne prenant qu'une partie expressive du sujet qu'elle essaye d'avoir l'image qu'elle a imaginé et que pour ce faire elle doit se mettre dans une position précise. I. est étonnée, car elle n'avait jamais imaginé se mettre autrement que face au sujet et donc, centrer son image dans le viseur. Cet événement lui ouvrira une nouvelle façon de voir ce qu'elle a envie de fixer sur sa pellicule. Et du même coup, cela lui permettra de se positionner autrement dans l'espace par rapport à son regard.
On peut encore ajouter que l'acte photographique est un acte d'introjection du monde.
Cela se produit lorsqu'on fixe un moment sur la pellicule. Lors du déclanchement, une 'coupure-capture' s'opère et la lumière entrée dans l'appareil va faire trace. Trace de l'image sur la pellicule. Celle-ci s'imprimera, en même temps, dans la 'boîte noire' psychique du photographe qu'est son inconscient.
Il arrive que, par manque de temps, l'image n'ai pas eu l'occasion d'être introjectée de façon complète ; alors celle-ci peut l'être, plus tard, lors de son développement et/ou de son observation. On peut citer comme exemple les touristes qui descendent du bus durant dix minutes pour photographier l'un ou l'autre monument ou paysage. Voyage après lequel ils s'empressent de développer ou faire développer leurs captures pour pouvoir les observer à nouveau.
Ceci fait écho et je témoignerai ici de mon expérience personnelle.
Lors d'un court séjour en Inde, dans le village où je résidais, je fis une série de photographies capturant des détails se rapportant aux rues, aux paysages et à l'architecture. Avec le recul et la présente lecture, je peux aisément affirmer que le temps m'étant compté, le processus d'intégration de ces moments merveilleux, s'est fait en Belgique lors de la visualisation et de la revisualisation de ces images.
Aujourd'hui, je me rends compte que si je n'avais pas capturé ces images, je n'en n'aurais pour ainsi dire aucun souvenir (annexes n° 7).
2 Le développement en photo
Le développement se fait par le passage du négatif au positif de l'image, de son tirage et de sa fixation sur le papier. Et d'un point de vue psychique, le moment du développement serait de retrouver les sensations fugitivement éprouvées lors de la prise de la photo, pour prendre, enfin, le temps de les assimiler.
Voici l'extrait d'un texte que j'ai écrit en 2007, celui-ci parle de ma conception de la photographie et précisément de ces moments 'revécu' où l'on imagine que l'introjection de l'image peut se faire (texte complet au début de ce travail p.2) :
« Jusqu'au moment où l'image … va réapparaître dans le révélateur. Ce moment magique où je revis un peu l'instant figé sur le papier… ».
3 Quand la photo n'est pas regardée ni même développée:
Il arrive souvent que les photographies 'mises en boîte' ne soient pas développées ou regardées… Cela peut être le signe que le moment est trop douloureux à intégrer ou bien encore que l'acte photographique a suffit à assurer la symbolisation des expériences vécues sur le mode sensori-affectivo-moteur.
B. Les images
Les clichés permettent la symbolisation imagée et verbale (en effet, parler autour d'une photographie mobilise les processus de symbolisation propres à chacun).
Pour parler de la symbolisation, on peut se situer sur deux points de vue :
le spectateur ou le photographe.
1 Du point de vue du spectateur :
Chaque personne interprétera la photographie en fonction des représentations qui lui sont propres. Toute image est perçue en fonction des ramifications et connections présentes dans l'inconscient du 'regardant'.
Retirée de son contexte, une photographie peut avoir différentes significations en fonction de celui qui la considère.
On peut encore parler de la différence de temporalité entre être un spectateur ou être le photographe : alors que le « regardant » pourra prendre le temps de s'approprier ce qu'il voit, à son rythme, celui qui prend la photo la réalise parfois en un millième de seconde.
2 Du point de vue du photographe :
La symbolisation est le résultat d'une mise en scène, d'un cadrage, d'un certain type de lumière, propre à celui qui pose l'acte et donc, d'une certaine appropriation du monde. De ce point de vue, on ne peut distinguer l'image de son producteur car les deux sont intimement liés.
Ici, on parlera aussi du 'style' du photographe et de la manière dont il intègre le monde. La mise en scène de l'image montre la 'Trace' du photographe sur le monde… « Parler du style d'un photographe, c'est reconnaître sa présence dans l'image qu'il donne à voir ! »[8].
V. Conclusions
La photographie contribue à assimiler le monde qui nous entoure et à nous positionner par rapport à lui.
Elle nous permet de fixer des images qui résonnent en nous de par leur connexion aux traces intérieures préexistantes dans notre inconscient.
Les effets thérapeutiques de ce média viennent de ce lien entre les images intérieures et celles extérieures qui confrontent le photographe à sa propre vision de la vie ; et les autres, spectateurs, au partage de cette vision ainsi qu'à leurs propres projections.
Il existe des grands domaines où le rapport avec la photographie est très présent :
- Le deuil.
- Le miroir et le regard.
- L'écran et l'enveloppe du monde.
- La mémoire individuelle et collective.
Ce travail portant sur un atelier d'animation, je ne fais pas allusion à ces différents thèmes mais cela ouvre des perspectives quant à l'élaboration d'un travail plus thérapeutique avec l'utilisation du média photographique.
VI. Bibliographie
LIVRES :
Paul Fumière, « Eléments de photographie », 2ème édition 1999-2000.
Hans-Michael Koetzel, « Photo Icons, petite histoire de la photo », édition Taschen, 2005.
The George Eastman House Collection, « Histoire de la photographie, de 1839 à nos jours », édition Taschen, 2005.
François Soulage et AlII, « Photographie et inconscient », édition Osiris, 1986, Paris.
Serge Tisseron, « Le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient », édition Champs-Flammarion, 1999.
Dr Jean Rodriguez – Jeoffrey Troll, « L'art-thérapie, pratiques, techniques et concepts », édition Ellébore, 2004.
D.W. Winnicott, « Jeu et réalité », édition folio essais, 1971.
José Guimon, « Art et psychiatrie », édition Georg, 2004.
C. G. Jung, « L'homme et ses symboles », Robert Laffont, Paris, 1964.
ARTICLES :
« Que cherchons-nous dans les images ? », Serge Tisseron, Art et thérapie n°96/97 – Juin 2007, p. 73-83.
« L'effet miroir en photographie », Gilles Perriot, psychologie médicale, 1984, p. 1943-1945.
« Obsessions photographiques », Gilles Perriot, psychologie médicale, 1995, p. 22-25.
« Du négatif au numérique : rupture ou continuité dans la photographicité ? », François Soulage, 1998.
« Psychothérapie par la photographie ou avec la photographie », Gilles Perriot, Créativité et art-thérapie en psychiatrie, P. Moron, J-L Sudres, G. Roux, CPNLF, édition Manon, 2003-2004.
« Les leurs et les nôtres, sémiotique d'une photographie », Michel Costantini, art et thérapie n°88/89 – 2004, p. 25-32.
« Photographie et psychiatrie, problèmes médico-juridiques », A. Pargade, Synapse, mars 2005, n° 213, p. 31-41
SITES INTERNET :
VII. Annexes
Annexe n° 1
Première image photographique prise par Nicéphore Niepce en 1827
Annexe n° 2
|
Annexe n° 3
Le test de Murray ou T.A.T. (Thematic Aperception Test) est un test projectif qui utilise trente planches illustrant des scènes à partir desquelles le sujet doit construire et raconter une histoire. On admet que le sujet s'identifie au personnage principal et que l'histoire qu'on lui demande de raconter à propos de l'image est la sienne.
Annexe n° 4
Le test de 'Szondi' est un test de personnalité fondé sur les sympathies ou antipathies suscitées par des photographies de personnes incarnant des types psychologiques précis.
Annexes n° 5 – Œuvres réalisées dans le cadre de l'atelier 'Autour de la photo', été 2008.
Suite annexe n° 5
Annexe n° 6 - Jacques Henri Lartigue : Autoportrait en même temps que son hydroglisseur avec propulseur, 1904.
Annexe n° 7 - Photographies prises à 'Gokarna' lors d'un court voyage en Inde.
[1] F. Soulages et Alii, « Photographies et inconscient », 1986, Edition Osiris, p. 50.
[2] F. Soulages et Alii,, op. cit, p60.
[3] Paul Fumière, « Eléments de photographie », 2ème édition, 1999-2000, p1.
[4] F. Soulages et Alii,, op. cit., p30-31.
[5] Dr J. Rodriguez, G. Troll, « L'art thérapie ; pratiques, techniques et concepts », 2004, Ellébore, Paris, p. 255-257.
[6] Serge Tisseron, « Le mystère de la chambre claire », p. 20.
[7] Serge Tisseron, op. cit., p. 44.
[8] Serge Tisseron, op. cit., p. 49.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 12 autres membres